Topoguide grivois de l’île d’Yeu

Mon récent séjour sur l’île d’Yeu (magnifique petit morceau d’Ecosse ou d’Irlande tombé au large de la Vendée) m’a inspiré ce petit topoguide.


En débarquant sur l’île, quelle que soit l’heure, emprunte tout de go le chemin de l’astrolabe. Contemple les étoiles, cherche ton nord, accorde-toi aux planètes, les yeux tournés vers le ciel. Loin sous tes pieds, le granit souterrain conserve le souvenir d’un feu ancien, qui couve – pour combien de temps – sous l’empire des vents et de la mer. Laisse-toi pénétrer par l’alchimie tellurique et charnelle qui infuse en ces lieux. Tu es prêt ?

Tes pas, guidés par une magie de romance, te conduiront tantôt vers la rue du rendez-vous, par la rue de la belle poule, le chemin de la pèlerine ou la rue de la lutine. Morgane ? Mélusine ? À toi de choisir !
Si tu es gourmand, fais un détour par le chemin des biches…
Si tu les préfères sauvages et lunaires, explore le chemin de la gournaise…
Tu ne manges pas de ce pain-là ? Qu’importe, passe par le chemin de la détourne pour rejoindre la rue des hommes rouges.

Quelque voie que tu choisisses, tu atteindras bientôt la rue du pain béni, mais évite si tu peux le chemin de la messe : ne vas pas tomber dans le piège d’une rime trompeuse avec une paire de… promesses !

Pierre des Amoureux… ou du Diable ?

En galante compagnie, te voilà maintenant lancé dans une randonnée balisée : remonte la ruelle de la courtoisie, et continue rue du bois d’amour. Tourne dans le chemin des amoureux. À mi-chemin, une pierre, vestige du fond des âges, veille sur les promeneurs. C’est la pierre des Amoureux. Profites-en pour faire un vœu : tu n’es pas encore à destination.
À quelque distance se trouve la fourche du diable. Si tu te trompes de chemin, tu finiras sur la plage des vieilles, gardée par l’ours des vieilles et le grand vilain des vieilles. Seule une offrande aux pierres du diable pourra te mettre à l’abri de leur courroux… à moins que tu ne trouves ton compte auprès d’une compagnie plus mûre !
D’autres écueils se dressent sur ton chemin : si tu ne t’es pas préparé, si tu ne prends pas tes précautions, tu échoueras sur la plage des ovaires. La seule échappatoire passe par la rue des soucis ; et gare encore à ne pas t’égarer dans l’impasse des bébés gris…

Tu as esquivé tous les pièges ? Bien, alors poursuis ta route, te voilà rue des roses, des étoiles plein les yeux, du coton sous les pieds, un feu qui couve dans le bas-ventre. En traversant Ker Poiraud, le feu devient brasier, incendie…

Tu t’aventures sur le chemin des poupounes qui descend en pente douce vers la plage de la pipe. Si tu croises le chemin de la grande remangère, il te faudra de la vigueur, car elle voudra certainement remettre le couvert !

Voilà, tu touches au but. Tu t’engages sur le chemin de la motte, par la rue du marais salé qui ouvre sur la rue du puits neuf. Tu accélères dans la rue du pinier jusqu’à la rue du puits mulet et, si tu n’as pas froid aux yeux, tu pousseras jusqu’à la rue du trou d’enfer !

Mais attention, prends ton temps : c’est une promenade, pas un trail. Tu ne voudrais pas finir rue des gats prompts… C’est un cul de sac !

Plage de la Pipe… ou de la Raie Profonde ?

Dernière ligne droite rue du paradis, les étoiles sont alignées, tu te prélasses langoureusement sur la plage de la raie profonde jusqu’au coucher du soleil. Te voilà au bout du chemin, soulagé, satisfait, repu. Tes yeux se mirent dans des yeux complices, attendris, concupiscents. Tes bras se nouent à des bras de velours tiède. Une douce torpeur baigne ton corps tout entier. Ce n’est pas le moment de fléchir, c’est maintenant qu’il te faut du courage : si tu n’y prends garde, si tu te laisses endormir, une sourde menace, la pire peut-être, te couvre de son ombre.

Si tu veux un jour quitter ces rivages, revoir le continent, il faut te réveiller, dire adieu, quitter ce sein accueillant et généreux, prendre le bateau à la prochaine marée. Sans quoi, tu finiras à coup sûr à arpenter, de longues années durant, le chemin de la roche de la mariée.

Mais qui sait, après tout, tu ne demandes peut-être pas mieux que de te laisser ensorceler sur l’île d’Yeu !

Yeu – Septembre 2022


Pour une fois, les illustrations ne sont pas honteusement pillées, c’est moi qui ai fait les photos !

Notes

  • Tous les lieux mentionnés existent.
  • La gournaise, c’est la femelle du garou