Avis de recherche

Rob Brezsny est un astrologue américain hors-norme dont tu peux lire l’horoscope chaque semaine dans Courrier International. Il a inventé le concept de pronoïa pour résister à la paranoïa, dans ses formes anodines et/ou pathologiques ; il propose avec humour de (re)penser nos rapports à l’environnement, à la sexualité, à notre présence humaine dans le monde. Il publie aussi une newsletter hebdomadaire où, en plus de l’horoscope, il propose sur un mode décontracté, des textes, des méditations, des citations, des références pour réenchanter un peu la vie et le monde.

Cette semaine, il pose, sous la forme d’un avis de recherche, des questions que j’ai souhaité, ami lecteur, partager avec toi…

Je te propose ma traduction d’un texte que tu peux lire en VO ici.

Juste un petit mot sur le St Chahut, parce que ça m’a interpellé. « Holy Ruckus » fait référence au site The Holy Ruckus (qui est à mon avis une sorte d’entreprise de propagande évangélisatrice à l’américaine) qui affirme s’être constituée pour répondre à une invitation (et c’est là que ça devient intéressant) lancée par le Pape François aux jeunes argentins lors des Journées Mondiales de la Jeunesse 2013, dont voici la traduction officielle de l’extrait qui parle du St Chahut :

j’espère qu’il y ait du bruit. Ici il y aura du bruit, il y en aura. Ici à Rio il y aura du bruit, il y en aura. Mais je veux que vous vous fassiez entendre dans les diocèses, je veux qu’on sorte dehors, je veux que l’Église sorte sur les routes, je veux que nous nous défendions de tout ce qui est mondanité, immobilisme, de ce qui est commodité, de ce qui est cléricalisme, de tout ce qui nous tient enfermés sur nous-mêmes.

Pape François, Rio de Janeiro, 25 juillet 2013

Le traducteurs du Vatican ont choisi de traduire ruckus par bruit, mais, dans le contexte de l’avis de recherche de Rob Brezsny et, ne serait-ce que par homophonie, j’ai préféré employer le mot chahut.

Voici donc cet avis de recherche…


On recherche : des Insurgés de l’Amour
À pourvoir : postes de Soignants du St Chahut

Mon think-tank, le Labo de la Beauté et de la Vérité a reçu une lettre d’une organisation qui s’appelle les Transgresseurs Clandestins Lumineux Indigènes Mutants Ingénieux de la Beauté en charge de la Révolution Furtive.

En voici les termes :

Cher Labo de la Beauté et de la Vérité,

Félicitations pour vos actions constructives en faveur de notre terre sacrée.

Il faut plus d’insurrectionnaires insoumis comme vous pour soigner le St Chahut – tant dans le Monde Réel Visible que dans l’Autre Monde Réel, que certains appellent Temps-Rêve, le Revers du Voile ou le plan astral.
Il faut plus d’insurgés tapageurs comme vous pour restaurer une meilleure unité entre ces deux royaumes. C’est crucial dans notre croisade pour abolir l’écocide global.

Vous êtes de parfaits candidats pour de telles missions. Pourquoi ?

Premièrement, vous illustrez l’exhortation d’Hermann Melville selon laquelle, idéalement, toute personne devrait être « patriote du ciel ».

Deuxièmement, vous respectez le serment du poète Gary Snider :

Je prête allégeance au sol
Un écosystème
En diversité
Sous le soleil
Dans la joyeuse interpénétration de tout.

Troisièmement, vous incarnez la promesse d’Edward Abbey :

Mes loyautés ne seront pas encloses dans des frontières nationales ni limitées dans la dimension spirituelle par un seul langage et une seule culture.
Je voue mon allégeance à cette maudite race humaine, mon amour éternel aux vertes collines de la Terre et mes intimations de gloire aux étoiles chantantes, au fin fonds de l’espace et du temps.

Cependant nous sommes certains que vous comprendrez que, pour solides qu’aient été vos contributions, nous vous demandons d’intensifier vos efforts. Et nous vous demandons de poursuivre ce labeur pour tout le reste de vos longues vies et au-delà. L’urgence environnementale a mis des décades à advenir et requerra des décades à défaire complètement.

Veuillez conserver la liste ci-dessous en évidence dans votre maison, pour rester toujours attentifs aux dégâts qu’il nous faut incessamment réparer. À savoir :

  • la décimation des habitats sauvages
  • le déclin de la biodiversité
  • l’extinction des espèces
  • l’amenuisement des réserves d’eau douce
  • la pollution de l’air
  • la pollution des rivières et des lacs
  • l’acidification des océans
  • la surpèche
  • la prolifération des espèces invasives
  • la désertification
  • la disparition des zones humides
  • le réchauffement de la terre
  • le commerce des espèces sauvages
  • l’intensification du rayonnement ultra-violet à mesure que la couche d’ozone s’amincit
  • les monocultures agricoles et l’usage généralisé d’antibiotiques et de pesticides toxiques
  • les dommages infligés aux océans par les déchets indutriels, la pollution agricole, les débris plastiques, et la surpèche
  • le déclin de la vie sauvage, tout particulièrement les abeilles et les autres insectes, les grenouilles, les oiseaux
  • l’holocauste perpétré à l’encontre des animaux domestiques

Voici maintenant deux questions en guise de devoirs :

Comment inciter les gens à cesser leur profanation et leur extermination de la nature ?

Comment motiver les gens à mettre fin au génocide contre les espèces animales et végétales ?

Avec notre amour et notre gratitude,

Au nom des Transgresseurs Clandestins Lumineux Indigènes Mutants Ingénieux de la Beauté en charge de la Révolution Furtive.


Révolution du Sentiment

Voici que le texte que nous, au Labo de la Beauté et de la Vérité, avons rédigé en réponse à ce courrier, en articulant les stratégies pour parvenir à l’abolition de l’écocide.

Chers Transgresseurs Clandestins Lumineux Indigènes Mutants Ingénieux de la Beauté en charge de la Révolution Furtive,

Merci pour votre aimable reconnaissance de notre travail et vos encouragement à travailler de plus belle. Nous relevons le défi.

Pour présenter le contexte de notre programme en 15 points, nous citons le très érudit M. H. Abrams dans son essai « Cette Verte Terre, une vision de la Nature chez les poètes romantiques », il écrit :

Les scientifiques ont pris sur eux de nous persuader, en en appelant aux faits, de la menace qui pèse sur le monde naturel. Suffit-il de connaître les faits ? Ou faudra-t-il attendre que la vision romantique de la Nature réapparaisse et se répande pour nous amener à « imaginer cela que nous savons » comme dit Shelley.

Shelley, 1840, trad. Claude Nosenzo (NdT)
https://po-et-sie.fr/wp-content/uploads/2018/08/29_1984_p24_47.pdf
Original : https://www.gutenberg.org/files/5428/5428-h/5428-h.htm

Il est vraisemblable que seul un si puissant motif – un si puissant émotif – pourra libérer les énergies, l’invention et la volonté de faire les sacrifices nécessaires si nous voulons sauver cette terre-qui-n’est-déjà-plus-si-verte pendant qu’elle est encore habitable.

C’est dans cet esprit que nous exposons nos idées pour abolir l’écocide :

1. Nous collectons des preuves scientifiques persuasives et joliment articulées sur la quantité de dégâts que l’activité humaine inflige aux autres formes de vie. En exprimant ces faits, nous manifestons le deuil que nous traversons. Nous sanglotons sans la moindre retenue.

2. Nous déclarons la dégradation de l’environnement une profanation sacrilège. Nous exaltons et propageons l’enseignement spirituel du Patriarche Bartholomée de l’Église Orthodoxe qui dit :

« commettre un crime contre le monde naturel est un péché. Que les humains soient cause de l’extinction d’espèces et de la destruction de la diversité biologique de la création divine, que les humains contaminent les eaux, les terres, les airs, la vie avec des substances empoisonnées, ce sont des péchés. »

3. Nous déplorons le fait qu’en abîmant la nature, nous renions notre amour pour nos familles. Nous soulignons le fait qu’en laissant derrière nous un paradis ruiné, nous faisons preuve d’irrespect, de mépris même, pour nos descendants.

4. Nous processionnons en cortèges funéraires à la mémoire des espèces éteintes. Nous recourons à des ritualistes professionnels pour rendre les cérémonies hautement divertissantes, et à des cinéastes professionnels pour les enregistrer. Chaque célébration est l’occasion pour un ululateur invité de pleurer son chagrin en musique. Nous animons une émission de télé-réalité pour diffuser ces événements.

5. Nous élisons et soutenons des politiciens qui accordent des réductions d’impôts substantielles aux individus et aux entreprises qui mettent la soutenabilité au cœur de toutes leurs activités.

6. Nous moquons, satirisons, démystifions et délégitimons la voracité sans éthique qui nous pousse à consommer tant de ressources de la terre et à produire tant de déchets. Nous la ridiculisons. La dénonçons. La narguons. La raillons. La ricanons. L’embrochons. La rions. L’humilions. La vilifions. La vandalisons. La diffamons. La persécutons.

7. Nous cultivons une adoration dévote pour la toile interconnectée de la vie. Qu’est-ce que cela signifie ? Par quel moyen ?
Prenons d’abord la description que donne Stephen Mitchell du Filet d’Indra, une métaphore mythologique commune à l’hindouisme et au bouddhisme :
Le Filet d’Indra est une métaphore profonde et subtile de la structure de la réalité. Imaginez un vaste filet. À chaque intersection se trouve une pierre précieuse, chaque pierre est d’une pureté parfaite et reflète toutes les autres pierres du filet, comme deux miroirs qui se font face renvoient une image à l’infini.
La pierre dans cette métaphore représente un individu, une conscience individuelle.
Chaque pierre est intimement connectée avec toutes les autres pierres de l’univers, et tout changement dans l’une des pierres suscite un changement, aussi petit soit-il, dans toutes les autres.

8. Nous nous réjouissons de la présence de myriades d’autres formes d’intelligence et de conscience en dehors de la sphère humaine. Nous nous appliquons à cultiver des relations d’amour avec elles.

9. Nous amassons quantité de preuves pour montrer que passer du temps dans des lieux sauvages fortifie notre hygiène mentale et notre santé physique. En voici quelques exemples :

10. Nous estimons le féminin et le non-binaire autant que le masculin. Sans pour autant dénigrer ou mortifier le masculin. Au contraire, nous entendons célébrer les 77 genres et leur égalité en termes de pouvoir et d’importance.
Comment est-ce que cela contribue à abolir l’écocide ? En rétablissant l’équilibre archétypal de la terre, gravement détraqué depuis plus de 4000 ans. Cela concrétise un axiome selon lequel il est dangereux de vouloir maîtriser et gérer la nature sans la respecter.

11. Nous pensons avec nos cœurs et sentons avec nos têtes. Traduction : nous infusons notre acuité analytique dans l’intelligence émotionnelle. Nous amplifions nos émotions par la clairvoyance.
Comment est-ce que cela contribue à abolir l’écocide ? C’est un antidote à la dissociation qui alimente notre aliénation envers la nature, qui nous coupe de l’amour inné que nos corps ressentent instinctivement pour les autres corps et formes de vie.

12. Nous maintenons une connexion intime, régulière et libérée avec l’Autre Monde Réel – le Temps-Rêve, le Revers du Voile, le plan astral. Nous inventons des manières d’exprimer ce que nous y apprenons pour parfaire les destinées de nos âmes dans le Monde Réel Visible.

13. Nous impulsons la dynamique sacrée Je ↔ Tu dans toutes nos relations, pas seulement avec les humains, pas seulement avec les animaux. Nous vénérons toutes les formes de vie comme des génies dotés d’âmes que nous devons aimer si nous voulons les comprendre.

14. Nous considérons la curiosité et l’empathie comme des super-pouvoirs. Nous sommes aussi avides d’apprendre les mystères de l’intimité réceptive que de brandir notre souveraineté brute. En quoi cela abolit-il l’écocide ? Parce que cela nous met en résonance avec le caractère précieux de l’Autre – et nous rend moins susceptible d’abuser de l’Autre et de lui nuire.

15. Nous prenons appui sur nos rêves, nos imaginaires, nos méditations, nos rituels, notre sexualité, nos danses, nos transes, nos drogues, et notre magie pour nous fondre dans, habiter le corps même des plantes, des animaux, des champignons, des protées, des archées, des bactéries et des virus.